L'objectif de ce blog

Ce blog est le support du séminaire Gouvernance Financière animé par Jean-Florent Rérolle à Sciences Po depuis l'année 2004-2005 (séminaire de printemps). Il est destiné avant tout aux étudiants inscrits au séminaire, mais il est aussi ouvert à tous ceux qui s'intéressent à cette matière qui est devenue une composante essentielle de la finance d'entreprise, en particulier aux étudiants qui n'auront pas pu s'inscrire et qui veulent avoir un aperçu de ce que nous allons traiter durant ce semestre. Le programme détaillé des séances peut être téléchargé ici.
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lundi 12 mars 2012

Quelques leçons sur la catastrophe de la Société Générale

La fraude massive découverte le vendredi 18 janvier par la Société Générale et qui a entraîné une perte de près de 5 milliards d'Euros soulève des questions importantes du point de vue de la gouvernance.
  1. Elle rappelle que les procédures de contrôle interne sont essentielles pour préserver la valeur actionnariale. Dans sa lettre à ses actionnaires, M. Bouton parle de quelques "interstices" dans lesquels le trader apparemment responsable de la fraude s'est egouffré. (sur un mode impertinent, on peut se demander quel aurait été le montant des pertes si ces interstices avaient été de vraies déficiences de contrôle ...!). Le paradoxe, est que la Société Générale avait la réputation d'être une banque assez agressive commercialement, mais également un modèle en matière gouvernance d'entreprise et de contrôle des risques. Parce qu'elle est une banque, elle fait l'objet de contrôles spécifiques de la part des autorités de régulation (Commission bancaire et AMF notamment). Elle a mis en place un système de contrôle interne qui fait l'objet d'une description détaillée dans un rapport annuel du Président que l'on peut trouver sur le site de la société (de la page 89 à 98 du document de référence). On note qu'il y a plus de 2000 personnes qui sont dédiées à "la maîtrise et au contrôle permanent des risques".
  2. Le cours de bourse a bien entendu été affecté par cette nouvelle. Le jeudi 24, jour de l'annonce de la fraude, le cours a perdu 4,14% et le lendemain 2,56%. Sur la semaine du 21-25 janvier, la valeur de l'action est tombée de 13,44 %. Une bonne partie de cette baisse est bien sûr imputable au lundi noir qu'ont connu les places financières mondiales. Au total, le titre de la Société Générale a perdu 44,4% depuis 1 an, et 25,3% depuis le 1er janvier 2008.
  3. Cette situation doit être aussi rapprochée de la problématique des bonus des banques d'affaires qui peuvent inciter les individus à prendre des risques inconsidérés. Le lecteur est invité à se reporter à mon post "la dangerosité des bonus des banquiers d'affaires".
  4. Le comportement du trader est aussi une bonne illustration de quelques biais psychologiques qui ont été identifiés par les spécialistes de la psychologie des comportements en situation d'incertitude (Daniel Kahneman et Amos Tversky en particulier) et dont le mariage avec la théorie financière (en particulier l'approche des "noise traders") a donné naissance à la finance comportementale. Il faut bien sûr attendre l'enquête qui est en cours pour mieux comprendre ce qui s'est passé et notamment les motivations et la psychologie de cet opérateur, mais cette affaire dramatique permet de rappeler que nous sommes tous victimes de quelques biais cognitifs qui nous conduisent à prendre de mauvaises décisions. Les facteurs qui nous conduisent à une prise de risque excessive sont les suivants : un excès d’optimisme, un sentiment d’invulnérabilité, une propension à minimiser nos échecs et à valoriser nos succès, une tendance à surestimer l’information qui confirme nos décisions ou nos préjugés (Biais de la confirmation), un excès de confiance en nous entraînant l’illusion de contrôler les évènements, un aveuglement au désastre (sous-estimation de la probabilité d’une catastrophe), une tentation de « doubler la mise » pour revenir à l’équilibre. On ne saurait trop insister sur la nécessité pour les financiers de chercher sans cesse à compenser ces faiblesses psychologiques (voir par exemple Psychology and financial statement analysis).
  5. La perte encaissée par la Société Générale n'aurait probablement pas été aussi importante si les conditions de marché n'avaient pas été si difficiles. La volatilité importante des marchés nous rappelle que le hasard n'est pas gaussien, ce qui jette une ombre sur les modèles d'évaluation que nous utilisons généralement. Comme le dit Christian Walter lors d'une discussion avec Benoît Mandelbrot :
    "Qu'est-ce qui se passe quand on examine de plus près les variations par rapport à l'hypothèse Gaussienne ? On voit qu'il apparaît ça et là, des pics, ça veut dire qu'il y a trop de variations importantes à la baisse ou à la hausse pour qu'on puisse les représenter par une loi de Gauss. Alors c'est important, parce que ces événements-là sont peut-être rares mais ils ont une grande importance sur le résultat final d'un investissement ou le contrôle final d'un risque. En fait, ils sont très peu nombreux, mais ils coûtent très chers pour permettre de gagner beaucoup. Par exemple, si l'on prend la performance annualisée du marché américain sur 9 ans [Note JFR : 1983-1992], sur les 2526 jours de la période totale la rentabilité annuelle est de 16,2%, si maintenant on retire les 10 meilleurs jours sur les 2526, on tombe de 16% à 11,6% de rentabilité, si on retire les 20 meilleurs jours la rentabilité annuelle tombe à 8,6%, en retirant les 30 meilleurs jours elle tombe à 6%, en retirant les 40 meilleurs jours, elle tombe à 3 et demi, 3,6. Ca veut dire que ce qu'on voit c'est que les 40 meilleurs jours, c'est-à-dire 2% à peu près du total des jours, participent au 4/5ième de la performance totale et donc très peu de jours contribuent pour l'essentiel au résultat final. Et ça c'est vraiment complètement étranger à l'optique Gaussienne, et donc depuis le krach de 87, globalement on a été amené à se dire que la loi de Gauss devait être améliorée ou remplacée pour mieux prendre en compte la structure réelle des variations du marché".
  6. Les sanctions qui ont été prises sont-elles suffisantes ? Le Président a présenté sa démission au conseil d'administration qui l'a refusé. Certains responsables ont été démis de leur fonction ou rétrogradés. Mais on peut penser que certains actionnaires minoritaires pourraient attaquer le conseil d'administration dont une des responsabilités est d'"évaluer la qualité du contrôle interne du groupe" (cf. le document de référence).
  7. Les systèmes de gouvernance interne et externe interagissent entre eux. Peu d'études ont été faites sur leur complémentarité ou leur substituabilité. Néanmoins il est acquis depuis les années 80 que les déficiences de contrôle interne conduisent les mécanismes de contrôle externe à s'exprimer de manière plus forte (voir l'article de Jensen dans le Journal of Finance de juillet 1993 : "The modern industrial revolution, exit and the failure of internal control systems"). C'est la raison pour laquelle les observateurs semblent considérer comme probable que la Société Générale fasse l'objet d'un rachat dans les mois qui viennent.
  8. Chaque fois que des scandales éclatent, les politiques s'en mêlent, d'abord par des déclarations tonitruantes, puis par des décisions qui ne sont pas forcément très heureuses. Cette affaire n'échappe pas à la règle. Nicolas Sarkosy a dénoncé "un système financier qui marche sur la tête et qui perd de vue sa finalité" et s'émeut qu'il puisse donner lieu à "des profits gigantesques et des pertes gigantesques en quelques heures". Ségolène Royale n'est pas en reste en déclarant que le capitalisme est "devenu incompétent, irresponsable, intolérable, désinvolte" et d'exiger que les banques "grâce à une loi bien claire, cessent de se faire du beurre sur le dos des plus modestes". Ces déclarations montrent une fois de plus la méconnaissance des politiques en matière financière. Espérons que les décisions législatives ou réglementaires seront plus réalistes et moins idéologiques.

lundi 7 février 2011

Les auditeurs sont-ils les prochains boucs émissaires ?

Après les banquiers, les fonds alternatifs et les agences de notation, le prochain coupable de la crise est peut-être l’auditeur. Jusqu’à présent, les cabinets d’audit n’avaient pas été réellement inquiétés. Les attaques s’étaient concentrées sur les normes comptables et, plus particulièrement, sur le caractère pro-cyclique de la juste valeur. Malgré les sommations des politiques et les lamentations des banquiers, les normalisateurs n’ont pas vraiment bougé. Grâce à quelques aménagements proposés par les régulateurs, acceptés par les auditeurs et appliqués par les évaluateurs, la tension était retombée. 
C’était sans compter le Commissaire Barnier dont le Green Paper permet de relancer le débat tous azimuts, débat qui fait écho à celui qui commence également aux Etats-Unis.
La plupart des accusations sont connues. Les auditeurs n’ont pas été à la hauteur de la situation. Ils n’ont pas été capables d’anticiper les difficultés, ou plutôt de faire en sorte qu’elles apparaissent clairement dans les comptes des banques. Pire, certains vont jusqu’à considérer que leur laxisme les rend complices de faillites bancaires. C’est ainsi que Charlie Munger, l’associé de Warren Buffet, a soutenu que : 
« a majority of the horrors we faced would not have happened if the accounting profession were organized properly. In other words, they have a position from which, if they behaved intelligently and correctly, they could prevent a huge amount of all that's wrong with the system. And they fail utterly, time after time, after time. And they are way too liberal in providing the kind of accounting the financial promoters want. They have sold out ».
L'interview de Charlie Munger :



Les critiques sont anciennes et bien connues. Le Green Paper européen en fait un inventaire assez complet ... Lire la suite sur mon blog http://www.rerolle.eu/

A la suite de ce livre vert, la commission a déposé son projet de directive que l'on peut télécharger ici.

jeudi 14 janvier 2010

Christian Mouillon est l'invité de la séance 8

Christian Mouillon, Global Vice-Chair, est le responsable mondial de l'activité audit de Ernst & Young. Il viendra nous parler de l'information financière et du rôle de l'auditeur dans la gouvernance le 21 mars 2012. On trouvera sa biographie ICI.

dimanche 18 janvier 2009

Le débat sur la juste valeur : de l'illusion comptable au réalisme financier

L’opportunité de l'introduction de la juste valeur a toujours donné lieu à d’intenses débats en particulier pour leur application aux instruments financiers (voir l'excellent papier de Nicolas Veron sur le sujet, ou bien le position paper des professeurs de finance de l'Edhec).
La polémique a redoublé de violence depuis le début de la crise financière. Il est apparu que la conjonction du principe de juste valeur d’une part et de normes prudentielles bancaires s’appuyant sur la comptabilité d’autre part, pouvait avoir un effet pro-cyclique (voir la conférence organisée par la SFEV en partenariat avec le mastère Finance et Stratégie en septembre 2008 sur le thème "Valeur et Prix en période de crise").

Plusieurs dirigeants d’institutions bancaires ou d’assurance se sont empressés d’envoyer les normes comptables dans le box des accusés avec les agences de notation et les fonds alternatifs. Il faut dire qu’il est plus facile de critiquer le référentiel comptable que les normes prudentielles lorsque l’on est sous le joug des superviseurs bancaires.

Pourtant, de manière significative, le principe de juste valeur n’a pas subi les foudres des dirigeants du G20. La déclaration publiée à la suite du Sommet du 15 novembre 2008 reste silencieuse à leur endroit, même si les autorités comptables sont appelées à
« œuvrer à l'amélioration des lignes directrices pour la valorisation des titres en tenant compte de l'évaluation des produits complexes illiquides, en particulier en période de tension sur les marchés financiers ».
L’un des mérites de cette crise nous semble avoir été de clarifier le débat (à défaut d’avoir permis l’émergence de solutions totalement claires et opérationnelles !) sur deux points principaux qui marquent la fin d’une certaine utopie comptable et le retour à un réalisme financier :
  1. Conceptuellement, établir un bilan qui puisse ou même doive refléter de manière réaliste la valeur de marché des entreprises est une ambition démesurée. Le marché est trop complexe pour se laisser capturer dans un système comptable.
  2. La mise en œuvre d’une évaluation suppose une part importante de jugement. L’encadrement de ce processus par un référentiel comptable est dangereux. Les prescriptions imposées aux évaluateurs ont ainsi été logiquement et sagement assouplies.
J'ai écrit un article sur ces questions dans la Revue Trimestrielle de Droit Financier. Je résume ma position dans un message publié sur mon blog.

Les étudiants intéressés par cette question importante pourront également consulter avec profit le rapport Marteau sur les Normes comptables et la crise financière qui a été remis au ministre des Finances en octobre 2009. Ce document est très critique à l'égard de la juste valeur et souligne avec justesse la confusion habituellement faite entre juste valeur et valeur de marché. La seconde n'est que l'une des modalités de calcul de la première. Et si l'on remet en question l'hypothèse d'efficience des marchés (ce qui est une tendance assez fréquente par les temps qui courent !) il faut alors accepter des approches "marked to model" pour évaluer les actifs des entreprises ou des banques.

samedi 8 mars 2008

Attention aux managers trop confiants ! le risque de fraude n'est pas loin.

C'est le thème d'une étude réalisée par Catherine M. Schrand et Sarah L. C. Zechman qui s'intitule "Executive Overconfidence and the Slippery Slope to Fraud".

Par nature, l'homme est optimiste. Witney Tison écrivait en 1999 :

"But humans are not just robustly confident-they are wildly overconfident.

Consider the following:

- 82% of people say they are in the top 30% of safe drivers;
- 86% of my Harvard Business School classmates say they are better looking than their classmates (would you expect anything less from Harvard graduates?);
- 68% of lawyers in civil cases believe that their side will prevail;
- Doctors consistently overestimate their ability to detect certain diseases (think about this one the next time you're wondering whether to get a second opinion);
- 81% of new business owners think their business has at least a 70% chance of success, but only 39% think any business like theirs would be likely to succeed;
- Graduate students were asked to estimate the time it would take them to finish their thesis under three scenarios: best case, expected, and worst case. The average guesses were 27.4 days, 33.9 days, and 48.6 days, respectively. The actual average turned out to be 55.5 days.
- Mutual fund managers, analysts, and business executives at a conference were asked to write down how much money they would have at retirement and how much the average person in the room would have. The average figures were $5 million and $2.6 million, respectively. The professor who asked the question said that, regardless of the audience, the ratio is always approximately 2:1.

Importantly, it turns out that the more difficult the question/task (such as predicting the future of a company or the price of a stock), the greater the degree of overconfidence. And professional investors -- so-called "experts" -- are generally even more prone to overconfidence than novices because they have theories and models that they tend to overweight.

Perhaps more surprising than the degree of overconfidence itself is that overconfidence doesn't seem to decline over time. After all, one would think that experience would lead people to become more realistic about their capabilities, especially in an area such as investing, where results can be calculated precisely. Part of the explanation is that people often forget failures and, even if they don't, tend to focus primarily on the future, not the past. But the main reason is that people generally remember failures very differently from successes. Successes were due to one's own wisdom and ability, while failures were due to forces beyond one's control. Thus, people believe that with a little better luck or fine-tuning, the outcome will
be much better next time."


Certains sont plus optimistes que la moyenne, et c'est le cas des dirigeants d'entreprise. Cet état d'esprit qui est essentiel au dynamisme d'un projet stratégique peut cependant avoir quelques inconvénients. La finance comportementale les a étudié depuis longtemps. Voir par exemple "managerial overconfidence and corporate policies" de ItzhakBen-David, John R. Graham, et Campbell Harvey, (November 2007), ou encore "behavioral corporate finance : a survey " de Baker, Ruback et Wurgler qui font un point très complet sur les biais comportementaux des dirigeants.

L'étude de Schrand et Zechman analyse les circonstances dans lesquelles une fraude apparait à non pas à la suite d'une volonté délibérée et perverse du dirigeant, mais tout simplement parce que ce dernier pense qu'il va pouvoir rétablir une situation difficile avant que le comportement frauduleux qui visait à la masquer ne soit découvert. Quelques semaines après l'affaire de la Société Générale, cette thèse nous semble bien familière ...

dimanche 2 mars 2008

Préparation de la séance 8




Lecture obligatoires :

- Extraits du vade-mecum de l'administrateur (IFA) :
  1. L'approbation des comptes
  2. Le comité des comptes

Lectures complémentaires

- Le vade-mecum, 2ème édition: chapitres 3.2, 3.3 et 3.4

- Sur la vision des grands réseaux d'audit sur le rôle de l'audit, l'avenir des normes comptables et de l'information financière :
  1. "Global Capital Markets and the Global Economy", A Vision From the CEOs of the International Audit Networks", November 2006
  2. "Global Dialogue with Capital Market stakeholders", A Report From the CEOs of the International Audit Networks, January 2008
- Les normes comptables, instruments du capitalisme financier de Michel Capron. Excellente étude qui soutient que la comptabilité a été récupérée par les marchés financiers et les investisseurs dans une perspective de gouvernance laissant peu de place aux parties prenantes.
- Le cadre de référence de contrôle interne en France établi sous l'égide de l'AMF
- les bonnes pratiques du comité d'audit, et les comités d'audit et les auditeurs externes, documents réalisé par l'IFA.
- Le rapport annuel de l'AMF sur le gouvernement d'entreprise et le contrôle interne
- Le numéro spécial de la Revue Française de Gestion 147 –2003/6 sur le "Contrôle externe : modalités et enjeux" (disponible sur le site internet de la bibliothèque de SciencesPo)
- Les décisions et recommandations des autorités européennes ont un impact grandissant sur l'information financière : normes comptable, rôle des auditeurs, fonctionnement du conseil (comités d'audit) ... On trouvera l'ensemble des textes et rapports (ainsi que des communiqués de presse les résumant !) relatifs au contrôle légal des comptes ou aux responsabilités du conseil d'administration en matière d'information financière sur le site de la commission.

Mise à jour 2012 : 
L'initiative récente la plus intéressante est celle qui a été lancée par l'IIRC et qui vise à imaginer un nouveau reporting financier : l'integrated reporting. Le document de présentation est un must read !