- Elle rappelle que les procédures de contrôle interne sont essentielles pour préserver la valeur actionnariale. Dans sa lettre à ses actionnaires, M. Bouton parle de quelques "interstices" dans lesquels le trader apparemment responsable de la fraude s'est egouffré. (sur un mode impertinent, on peut se demander quel aurait été le montant des pertes si ces interstices avaient été de vraies déficiences de contrôle ...!). Le paradoxe, est que la Société Générale avait la réputation d'être une banque assez agressive commercialement, mais également un modèle en matière gouvernance d'entreprise et de contrôle des risques. Parce qu'elle est une banque, elle fait l'objet de contrôles spécifiques de la part des autorités de régulation (Commission bancaire et AMF notamment). Elle a mis en place un système de contrôle interne qui fait l'objet d'une description détaillée dans un rapport annuel du Président que l'on peut trouver sur le site de la société (de la page 89 à 98 du document de référence). On note qu'il y a plus de 2000 personnes qui sont dédiées à "la maîtrise et au contrôle permanent des risques".
- Le cours de bourse a bien entendu été affecté par cette nouvelle. Le jeudi 24, jour de l'annonce de la fraude, le cours a perdu 4,14% et le lendemain 2,56%. Sur la semaine du 21-25 janvier, la valeur de l'action est tombée de 13,44 %. Une bonne partie de cette baisse est bien sûr imputable au lundi noir qu'ont connu les places financières mondiales. Au total, le titre de la Société Générale a perdu 44,4% depuis 1 an, et 25,3% depuis le 1er janvier 2008.
- Cette situation doit être aussi rapprochée de la problématique des bonus des banques d'affaires qui peuvent inciter les individus à prendre des risques inconsidérés. Le lecteur est invité à se reporter à mon post "la dangerosité des bonus des banquiers d'affaires".
- Le comportement du trader est aussi une bonne illustration de quelques biais psychologiques qui ont été identifiés par les spécialistes de la psychologie des comportements en situation d'incertitude (Daniel Kahneman et Amos Tversky en particulier) et dont le mariage avec la théorie financière (en particulier l'approche des "noise traders") a donné naissance à la finance comportementale. Il faut bien sûr attendre l'enquête qui est en cours pour mieux comprendre ce qui s'est passé et notamment les motivations et la psychologie de cet opérateur, mais cette affaire dramatique permet de rappeler que nous sommes tous victimes de quelques biais cognitifs qui nous conduisent à prendre de mauvaises décisions. Les facteurs qui nous conduisent à une prise de risque excessive sont les suivants : un excès d’optimisme, un sentiment d’invulnérabilité, une propension à minimiser nos échecs et à valoriser nos succès, une tendance à surestimer l’information qui confirme nos décisions ou nos préjugés (Biais de la confirmation), un excès de confiance en nous entraînant l’illusion de contrôler les évènements, un aveuglement au désastre (sous-estimation de la probabilité d’une catastrophe), une tentation de « doubler la mise » pour revenir à l’équilibre. On ne saurait trop insister sur la nécessité pour les financiers de chercher sans cesse à compenser ces faiblesses psychologiques (voir par exemple Psychology and financial statement analysis).
- La perte encaissée par la Société Générale n'aurait probablement pas été aussi importante si les conditions de marché n'avaient pas été si difficiles. La volatilité importante des marchés nous rappelle que le hasard n'est pas gaussien, ce qui jette une ombre sur les modèles d'évaluation que nous utilisons généralement. Comme le dit Christian Walter lors d'une discussion avec Benoît Mandelbrot :
"Qu'est-ce qui se passe quand on examine de plus près les variations par rapport à l'hypothèse Gaussienne ? On voit qu'il apparaît ça et là, des pics, ça veut dire qu'il y a trop de variations importantes à la baisse ou à la hausse pour qu'on puisse les représenter par une loi de Gauss. Alors c'est important, parce que ces événements-là sont peut-être rares mais ils ont une grande importance sur le résultat final d'un investissement ou le contrôle final d'un risque. En fait, ils sont très peu nombreux, mais ils coûtent très chers pour permettre de gagner beaucoup. Par exemple, si l'on prend la performance annualisée du marché américain sur 9 ans [Note JFR : 1983-1992], sur les 2526 jours de la période totale la rentabilité annuelle est de 16,2%, si maintenant on retire les 10 meilleurs jours sur les 2526, on tombe de 16% à 11,6% de rentabilité, si on retire les 20 meilleurs jours la rentabilité annuelle tombe à 8,6%, en retirant les 30 meilleurs jours elle tombe à 6%, en retirant les 40 meilleurs jours, elle tombe à 3 et demi, 3,6. Ca veut dire que ce qu'on voit c'est que les 40 meilleurs jours, c'est-à-dire 2% à peu près du total des jours, participent au 4/5ième de la performance totale et donc très peu de jours contribuent pour l'essentiel au résultat final. Et ça c'est vraiment complètement étranger à l'optique Gaussienne, et donc depuis le krach de 87, globalement on a été amené à se dire que la loi de Gauss devait être améliorée ou remplacée pour mieux prendre en compte la structure réelle des variations du marché".
- Les sanctions qui ont été prises sont-elles suffisantes ? Le Président a présenté sa démission au conseil d'administration qui l'a refusé. Certains responsables ont été démis de leur fonction ou rétrogradés. Mais on peut penser que certains actionnaires minoritaires pourraient attaquer le conseil d'administration dont une des responsabilités est d'"évaluer la qualité du contrôle interne du groupe" (cf. le document de référence).
- Les systèmes de gouvernance interne et externe interagissent entre eux. Peu d'études ont été faites sur leur complémentarité ou leur substituabilité. Néanmoins il est acquis depuis les années 80 que les déficiences de contrôle interne conduisent les mécanismes de contrôle externe à s'exprimer de manière plus forte (voir l'article de Jensen dans le Journal of Finance de juillet 1993 : "The modern industrial revolution, exit and the failure of internal control systems"). C'est la raison pour laquelle les observateurs semblent considérer comme probable que la Société Générale fasse l'objet d'un rachat dans les mois qui viennent.
- Chaque fois que des scandales éclatent, les politiques s'en mêlent, d'abord par des déclarations tonitruantes, puis par des décisions qui ne sont pas forcément très heureuses. Cette affaire n'échappe pas à la règle. Nicolas Sarkosy a dénoncé "un système financier qui marche sur la tête et qui perd de vue sa finalité" et s'émeut qu'il puisse donner lieu à "des profits gigantesques et des pertes gigantesques en quelques heures". Ségolène Royale n'est pas en reste en déclarant que le capitalisme est "devenu incompétent, irresponsable, intolérable, désinvolte" et d'exiger que les banques "grâce à une loi bien claire, cessent de se faire du beurre sur le dos des plus modestes". Ces déclarations montrent une fois de plus la méconnaissance des politiques en matière financière. Espérons que les décisions législatives ou réglementaires seront plus réalistes et moins idéologiques.
Séminaire du master Finance et Stratégie de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
L'objectif de ce blog
Ce blog est le support du séminaire Gouvernance Financière animé par Jean-Florent Rérolle à Sciences Po depuis l'année 2004-2005 (séminaire de printemps). Il est destiné avant tout aux étudiants inscrits au séminaire, mais il est aussi ouvert à tous ceux qui s'intéressent à cette matière qui est devenue une composante essentielle de la finance d'entreprise, en particulier aux étudiants qui n'auront pas pu s'inscrire et qui veulent avoir un aperçu de ce que nous allons traiter durant ce semestre. Le programme détaillé des séances peut être téléchargé ici.
Affichage des articles dont le libellé est Ethique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Ethique. Afficher tous les articles
lundi 12 mars 2012
Quelques leçons sur la catastrophe de la Société Générale
La fraude massive découverte le vendredi 18 janvier par la Société Générale et qui a entraîné une perte de près de 5 milliards d'Euros soulève des questions importantes du point de vue de la gouvernance.
Libellés :
Ethique,
Information,
Séance 8
dimanche 11 octobre 2009
La gouvernance à géométrie variable
Je reprends dans ce message celui que j'ai rédigé sur mon blog.
"Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais". Cette formule s'applique trop souvent aux pratiques de gouvernement d'entreprise en France. Malgré les déclarations émouvantes de beaucoup de dirigeants en faveur des principes de bonne gouvernance, la réalité est bien plus sombre.
Quelques exemples viennent de nous en être donnés dans la sphère (semi) publique. D'un coté, le pouvoir politique n'a pas ménagé ses critiques à l'égard de la mauvaise gouvernance des banques. Il est vrai que la question de savoir où étaient passés les administrateurs de celles-ci pendant la crise pouvait être légitimement posée. Mais cela n'a pas empêché ce même pouvoir politique de procéder par ailleurs à la nomination de plusieurs dirigeants d'entreprises semi-publiques sans que les organes sociaux aient eu apparemment leur mot à dire. On espère maintenant que le favoritisme ne sombrera pas dans le népotisme décomplexé ...
Un autre exemple, pris cette fois-ci dans la sphère privée, nous est offert par la décision du Groupe Axa de changer son mode d'organisation. Sous réserve de l'approbation de l'AG des actionnaires, la société remplacera son organisation duale (conseil de surveillance / Directoire) par un conseil d'administration classique présidé par Henri de Castries qui cumulera les fonctions de Président et de directeur général.
La structure duale ou la séparation des fonctions de Président du Conseil d'Administration et du Directeur Général répond à un principe très simple dans nos sociétés démocratiques : la séparation des pouvoirs. Dans ce type de structure, il est beaucoup plus naturel et facile pour un conseil de contrôler l'action d'un dirigeant ou de demander à son président d'exiger une information renforcée sur tel ou tel sujet sensible. C'est d'autant plus important lorsque l'on est en présence d'un dirigeant charismatique et tout puissant. Je ne vise absolument pas Henri de Castries qui semble être un homme non seulement remarquable mais aussi très mesuré, sympathique et porté au dialogue. Mais la structure de gouvernance d'une entreprise ne peut pas être organisée en fonction de la personnalité du dirigeant car celui-ci peut changer ou être changé.
On comprend d'ailleurs mal pourquoi Axa décide de modifier un système qui lui a si bien réussi dans le passé. Certes, sa création répondait à des raisons essentiellement conjoncturelles (la fusion avec l'UAP qui nécessitait de donner une position à son Président de l'époque). Il n'avait été maintenu lors du départ de Claude Bébéar que pour des raisons tout aussi éloignées du principe de séparation des pouvoirs : il est habituel en France que lorsque le dirigeant d'une entreprise prend sa "retraite", il décide de conserver une position dominante au sein du conseil afin (officiellement) de permettre une transition harmonieuse avec son successeur. En réalité, on sait qu'il s'agit avant tout de conserver statut, pouvoir, influence et rémunération ...
Il n'en reste pas moins que la raison évoquée dans le communiqué laisse rêveur tant elle fait appel à la langue de bois la plus pure :
"Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais". Cette formule s'applique trop souvent aux pratiques de gouvernement d'entreprise en France. Malgré les déclarations émouvantes de beaucoup de dirigeants en faveur des principes de bonne gouvernance, la réalité est bien plus sombre.
Quelques exemples viennent de nous en être donnés dans la sphère (semi) publique. D'un coté, le pouvoir politique n'a pas ménagé ses critiques à l'égard de la mauvaise gouvernance des banques. Il est vrai que la question de savoir où étaient passés les administrateurs de celles-ci pendant la crise pouvait être légitimement posée. Mais cela n'a pas empêché ce même pouvoir politique de procéder par ailleurs à la nomination de plusieurs dirigeants d'entreprises semi-publiques sans que les organes sociaux aient eu apparemment leur mot à dire. On espère maintenant que le favoritisme ne sombrera pas dans le népotisme décomplexé ...
Un autre exemple, pris cette fois-ci dans la sphère privée, nous est offert par la décision du Groupe Axa de changer son mode d'organisation. Sous réserve de l'approbation de l'AG des actionnaires, la société remplacera son organisation duale (conseil de surveillance / Directoire) par un conseil d'administration classique présidé par Henri de Castries qui cumulera les fonctions de Président et de directeur général.
La structure duale ou la séparation des fonctions de Président du Conseil d'Administration et du Directeur Général répond à un principe très simple dans nos sociétés démocratiques : la séparation des pouvoirs. Dans ce type de structure, il est beaucoup plus naturel et facile pour un conseil de contrôler l'action d'un dirigeant ou de demander à son président d'exiger une information renforcée sur tel ou tel sujet sensible. C'est d'autant plus important lorsque l'on est en présence d'un dirigeant charismatique et tout puissant. Je ne vise absolument pas Henri de Castries qui semble être un homme non seulement remarquable mais aussi très mesuré, sympathique et porté au dialogue. Mais la structure de gouvernance d'une entreprise ne peut pas être organisée en fonction de la personnalité du dirigeant car celui-ci peut changer ou être changé.
On comprend d'ailleurs mal pourquoi Axa décide de modifier un système qui lui a si bien réussi dans le passé. Certes, sa création répondait à des raisons essentiellement conjoncturelles (la fusion avec l'UAP qui nécessitait de donner une position à son Président de l'époque). Il n'avait été maintenu lors du départ de Claude Bébéar que pour des raisons tout aussi éloignées du principe de séparation des pouvoirs : il est habituel en France que lorsque le dirigeant d'une entreprise prend sa "retraite", il décide de conserver une position dominante au sein du conseil afin (officiellement) de permettre une transition harmonieuse avec son successeur. En réalité, on sait qu'il s'agit avant tout de conserver statut, pouvoir, influence et rémunération ...
Il n'en reste pas moins que la raison évoquée dans le communiqué laisse rêveur tant elle fait appel à la langue de bois la plus pure :
L'inanité de cette raison donnée par une société aussi emblématique qu'Axa est un mauvais coup porté à la gouvernance française. Ce qui fait justement dire à Breakingviews dans le Monde du 9 octobre que :La modification proposée par le Conseil de Surveillance correspond à la volonté de simplifier les processus de décision opérationnels pour faire face aux défis futurs. Cette évolution s’inscrit dans le cadre de l’actualisation régulière et continue de la stratégie et de l’organisation interne du Groupe.
La France peut bien donner au monde des leçons en matière de bonus. Mais pour les leçons de bonne gouvernance, il va falloir faire quelques progrès ...Au-delà des vertueuses déclarations, les mécanismes de gouvernance sont avant tout conçus en France comme un moyen de servir les intérêts de celui qui gouverne. Principes élastiques et gouvernance à géométrie variable sont les deux mamelles du système.
Inscription à :
Articles (Atom)