L'objectif de ce blog

Ce blog est le support du séminaire Gouvernance Financière animé par Jean-Florent Rérolle à Sciences Po depuis l'année 2004-2005 (séminaire de printemps). Il est destiné avant tout aux étudiants inscrits au séminaire, mais il est aussi ouvert à tous ceux qui s'intéressent à cette matière qui est devenue une composante essentielle de la finance d'entreprise, en particulier aux étudiants qui n'auront pas pu s'inscrire et qui veulent avoir un aperçu de ce que nous allons traiter durant ce semestre. Le programme détaillé des séances peut être téléchargé ici.

samedi 19 janvier 2008

La théorie de l'agence

L'évolution du capitalisme est marquée par la domination des sociétés à capital dispersé. La séparation de la propriété du capital et la direction des entreprises a donné aux dirigeants un pouvoir discrétionnaire dont ils peuvent facilement abuser.

Cette situation a fait l'objet de nombreuses analyses qui méritent d'être rappelées car elles montrent que dès l'origine on avait conscience du conflit d'intérêt entre le dirigeant et l'actionnaire :

Adam Smith, The Wealth of Nations (1776)

The directors of such (joint-stock) companies, however, being the managers of other people's money rather than of their own, it cannot well be expected, that they should watch over it with the same anxious vigilance with which the partners in a private company frequently watch over their own. Like the stewards of a rich man, they are apt to consider attention to small matters as not for their master's honour and very easily give themselves a dispensation from having it. Negligence and profusion, therefore, must always prevail, more or less, in the management of the affairs of such a company.
Karl Marx, le capital livre troisième, 1864-1875

D'une manière générale, les sociétés par actions -qui se développent avec le système du crédit- tendent de plus en plus à séparer cette fonction administrative d'avec la possession du capital [...] à côté du véritable manager apparaît une foule de conseils d'administration et de direction pour qui l'administration et la direction ne sont, en fait, que prétextes à spolier les actionnaires et à amasser les richesses.
Adolph Berle et Gardiner Means, The Modern Corporation and Private Property (1932)

Quand le gros des profits est destiné à aller aux propriétaires qui sont des individus autres que ceux qui détiennent le contrôle, il est plus que probable que les intérêts de ces derniers divergeront de ceux qui ont la propriété et … le groupe détenant le contrôle [sera] en position de servir ses propres intérêts
Alfred Chandler, The Visible Hand, The Managerial Revolution in American Business (1977)

Ownership and management soon separated. The capital required to build a railroad was far more than that required to purchase a plantation, a textile mill, or even a fleet of ships. Therefore, a single entrepreneur, family, or small group of associates was rarely able to own a railroad. Nor could the many stockholders or their representatives manage it. The administrative tasks were too numerous, too varied, and too complex. They required special skills and training which could only be commanded by a full-time salaried manager. Only in the raising and allocating of capital, in the setting of financial policies, and in the selection of top managers did the owners or their representatives have a real say in railroad management.
La théorie de l'agence est apparue en 1972 avec les travaux d'Achian et Demsetz (Théorie des droits de propriété) et en 1976 avec ceux de Jensen et Meckling qui développent une conception contractuelle de la firme : celle-ci est un noeud de contrats qui ont pour but de coordonner l'action des individus et de régler les conflits d'objectifs ou d'intérêt qu'ils peuvent avoir entre eux.


Entre les dirigeants et les actionnaires s'établit une relation d'agence : le manager (le mandataire ou l'agent) est chargé d'investir les ressources de l'actionnaire (le mandant) et de dégager une rentabilité appropriée sur ces fonds. Ils passent un contrat qui prévoit l'utilisation de ces fonds et le partage des profits. Le problème est que ce contrat ne peut pas prévoir l'ensemble des situations futures. Il sera forcément incomplet. Le mandant et le mandataire doivent se mettre d'accord sur l'allocation de ce que l'on appelle les droits de contrôle résiduel.

Ces droits ne peuvent être attribués aux actionnaires pour des raisons pratiques : les managers se retrouvent avec des droits de contrôle résiduel très importants dont ils pourraient profiter au détriment des actionnaires. Le problème de la gouvernance est de mettre en place un système de contrôle qui permette de limiter ou d'encadrer cette latitude managériale afin de réduire les risques des actionnaires. C'est d'ailleurs aussi l'intérêt des dirigeants car, en acceptant des contraintes sur ces droits résiduels, ils parviendront à convaincre plus facilement d'autres actionnaires de leur apporter des ressources supplémentaires.

Quelques papiers à lire pour approfondir le thème :

On a déjà cité l'excellente étude de Gérard Charreaux sur l'ensemble des travaux de Jensen : "Michael Jensen : la théorie positive de l’agence et ses applications à l’architecture et à la gouvernance des organisations";

Dans "Value maximization, stakeholder theory and the corporate objective function", Michael Jensen défend avec force l'idée que les managers ne doivent avoir qu'un seul objectif, la maximisation de la valeur et soutient que la promotion de la stakeholder theory ne peut qu'entraîner la confusion et l'inefficacité car à avoir plusieurs maîtres, on finit par ne plus en avoir réellement.

Dans "The modern industrial revolution, exit and the failure of internal control system", Michael Jensen montre comment la gouvernance d'entreprise a modifié l'économie américaine au cours des années 80, et comment le marché du contrôle des entreprises (les fusions acquisitions) est venu supplanter les déficiences du contrôle interne.

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